Note sur les juifs et l'antisémitisme en philosophie

(Jean-Yves Bourdin, professeur agrégé de philosophie, 29/04/09)

Une des choses les plus curieuses que je connaisse, c'est comment s'est opéré, dans la philosophie du 20e siècle, le dialogue entre les juifs et l'antisémitisme. Le philosophe antisémite, évidemment, c'est Heidegger (il y a bien aussi Carl Schmidt, mais il se limite à la philosophie du droit). Heidegger a été membre du parti nazi dès 1933 et jusqu'à la fin, et tout son effort en philo est de tirer en arrière, en deça du judéo-christianisme, en-deça du monothéisme, vers les Grecs, en-deça même de Platon.

Or Heidegger est le disciple d'un grand philosophe juif (bien meilleur que Heidegger, à mon sens, mais c'est une autre histoire): Husserl. Et parmi les disciples de Heidegger, que trouve-t-on? Des philosophes juifs: Anna Arendt et Lévinas, théologien du judaïsme [pour Sartre, dans l'Etre et le Néant, ce n'était qu'une méprise, et la querelle publique sur l'humanisme a réglé cette question]. Il ne s'agissait pas d'un simple dialogue d'idées: il y a bien eu pénétration réciproque, et pas seulement au plan des idées, Heidegger et Anna Arendt ayant naturellement poussé la rencontre jusqu'au lit.

Par ailleurs, il m'a fallu pas mal de temps pour comprendre comment cette étiquette ridicule de "judéo-marxisme" pouvait passer comme une lettre à la poste: c'est qu'il y avait parmi les marxistes une quantité incroyable de juifs, pratiquement toute l'Ecole de Francfort, par exemple. A part Brecht et Lukacs, qui donc n'était pas juif, parmi les philosophes marxistes ?

Tout ça me paraît bien surprenant. A creuser.