Les vrais gens versus les poupées gonflables

[Nous reproduisons ci-dessous un texte curieux qui circule sous le manteau, sous forme de flyer pour des raves clandestines, de commentaire dissimulé sur des blogs underground, de spam sur des emails piratés, etc. Il est parfois revêtu de signatures fantaisistes ("comités marxistes invisibles", "mouvance alcoolo-anarcho-autonome") et agrémenté de références numérologiques hermétiques, comme "0001-1789-1917-1968-2008". On y devine des influences littéraires et théoriques souterraines hétéroclites (Spinoza, Marx, Tucholsky, Weber, Keynes, Debord). Quoi qu'il en soit, nous obéissons à l'injonction qui l'accompagne, faire circuler, et nous vous invitons à faire de même. Jean-Yves Bourdin, 30/04/09]


Crise: les vrais gens versus les poupées gonflables, ou les arnaqueurs arnaqués

Thèse.

La forme que revêt la lutte des classes mondiale, au troisième millénaire de l'histoire de la barbarie, est celle de la guerre civile universelle entre les gens, d'un côté, et les baudruches, de l'autre.

Démonstration.

Les capitalistes, au commencement, ne sont pas des baudruches. Ce sont des vrais gens, qui ont trouvé la bonne réponse à l'éternelle question de l'humanité: "comment faire pour que les autres gens travaillent à ma place?". Ils ont prouvé que la réponse habituelle (l'esclavage) ne marchait pas, parce que les autres gens, quand ils sont esclaves, en fichent le minimum.
La bonne réponse, c'est de placer du vrai argent dans de vraies entreprises (le "capital"), et d'embaucher les autres vrais gens, chaque matin, pour les faire travailler dans ces entreprises. Les autres vrais gens ne sont plus des esclaves, ils sont libres, ce sont des salariés. Etant libres, les salariés se forcent eux-mêmes à travailler un maximum chaque jour, parce que sans ça le capitaliste, librement, ne les embauche pas le lendemain. Les capitalistes arrivent ainsi, non seulement à garder leur vrai argent, mais à l'augmenter régulièrement: c'est le "profit capitaliste".
La force des capitalistes, c'est que ce profit, au lieu de le boire au bistrot comme nous tous, ils le remettent au pot, en le plaçant dans de nouvelles entreprises, et ça fait boule de neige.
La faiblesse des capitalistes est dans leur soif de profit, qui leur fait désirer des profits impossibles ("super-profits"). Les capitalistes se font donc forcément arnaquer par des bonimenteurs qui leur promettent que, s'ils leur remettent leur vrai argent au lieu de le placer dans les entreprises, ils leur donneront ces super-profits. Cette arnaque s'appelle "la confiance", et les bonimenteurs s'appellent "gestionnaires de fortune" (Bernard Madoff), "banquiers" (Jérôme Kerviel), etc.
L'arnaque marche parce que les arnaqueurs disposent d'un énorme stock de baudruches sous forme de produits toxiques, affublés de noms impossibles (LBO, SICAV, etc) et constamment renouvelés, qu'ils font passer pour du vrai argent aux yeux des capitalistes. Ils ont également réussi à échanger ces produits toxiques contre l'argent que les salariés réussissent à mettre de côté pour la retraite ou la maladie. Les bonimenteurs disposent enfin d'un stock de baudruches spécialement destinées à abrutir les salariés: ces baudruches-là s'appellent les "mass media".
Les arnaqueurs, au départ, sont des vrais gens, qui réussissent à siphonner le vrai argent des capitalistes et de l'épargne des salariés, en le remplaçant par leurs produits toxiques. Mais du coup, quand leur arnaque marche assez longtemps, ils deviennent eux-mêmes des capitalistes. Comme capitalistes, ils se font forcément arnaquer à leur tour, ils s'arnaquent même eux-mêmes: eux aussi, au lieu de chercher du profit capitaliste, se mettent à accumuler les produits toxiques. Arrive nécessairement le moment où l'essentiel du capital n'est plus composé que de produits toxiques, et où les principaux capitalistes sont les arnaqueurs qui ont réussi.
Mais le capitalisme ne peut pas marcher uniquement à la gonflette. Quand tout le capital est remplacé par de la baudruche, il n'y a plus de vrai argent à mettre dans les entreprises, et plus non plus de profit capitaliste: on n'embauche plus de nouveaux salariés et on débauche les anciens. A ce moment, les baudruches se dégonflent toutes seules. Les capitalistes constatent qu'ils ont perdu leur vrai argent, et perdent confiance dans les bonimenteurs et leurs produits toxiques. Les salariés constatent qu'ils sont devenus des "chômeurs" et ont perdu leur épargne, ils perdent confiance dans les mass media toxiques, et ne se donnent même plus la peine de séquestrer ceux qu'ils croyaient être des capitalistes, et qui ne sont que des poupées gonflables.
Cette période s'appelle "la crise".

Corollaire.

La sortie de la crise devrait logiquement passer par l'alliance entre les capitalistes et les autres vrais gens pour crever les baudruches. Ce n'est pas difficile en soi (il suffit d'un coup d'épingle), mais les arnaqueurs s'y opposent de toutes leurs forces en mobilisant leurs mass-media, et surtout cela demande aux capitalistes (qui ne sont plus très nombreux, se sont appauvris, et ne cessent de se battre entre eux) de se contenter d'un profit raisonnable, ce qui est extrêmement difficile pour eux, à cause de leur addiction aux super-profits imaginaires.
Si suffisamment de capitalistes parviennent à reprendre le dessus et à se désintoxiquer, le capitalisme pourra continuer jusqu'à la prochaine crise. Dans le cas contraire, les autres gens devront trouver un système de rechange.

Scolie (précision historique).
Le vrai argent que les capitalistes ont investi au départ, et qui a été ensuite remplacé par de la baudruche, ne pouvait évidemment venir ni du profit capitaliste ni des produits toxiques. Il avait en fait été acquis par la rapine, comme butin de guerre et produit du vol et de la piraterie, dans les pays européens et ceux qu'ils ont colonisés (Amérique, Chine, etc). C'était l'époque où les narco-Etats occidentaux menaient ensemble guerre sur guerre pour imposer à la Chine, qui n'en voulait pas, la liberté de vendre de l'opium (le premier comptoir pour la vente forcée de la drogue a été l'île pirate de Hong-Kong). Les narco-Etats occidentaux ont appelé, et appellent toujours, ce processus de rapine et de piraterie le "droit d'ingérence pour la défense des droits de l'homme" ou "la guerre humanitaire". Mais les économistes sérieux continuent à l'appeler "l'accumulation primitive du capital".